Être ou ne pas être plausible, telle n’est plus la question. Le 23 mars 2023, la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB) a rendu une décision très attendue sur la question de savoir si l’activité inventive pouvait se baser sur des preuves postérieures au dépôt.
De nombreuses procédures d’examen et d’opposition, ainsi que des procédures de recours, avaient été suspendues depuis novembre 2021, attendant que la Grande Chambre de recours fasse la lumière sur la notion controversée de « plausibilité ».
Dans une décision longue de 75 pages, mais fluide, se référant à pas moins de 20 mémoires d’amicus curiae, 3 observations de tiers, 67 décisions de chambres de recours, un certain nombre de décisions nationales, de doctrine et de références (toutes énumérées), la chambre arrive à une conclusion assez simple, que nous ne pouvons qu’applaudir.
La Grande Chambre de recours a reconnu l’effort de la chambre de renvoi pour distinguer trois lignes de jurisprudence quant à l’exigence d’activité inventive (art. 56 CBE) :
(I) « plausibilité ab initio » : les preuves postérieures peuvent être prises en compte s’il existe des données préliminaires ou au moins un rationnel technique dans la demande telle que déposée pour étayer un effet technique.
(II) « invraisemblance ab initio » : les preuves postérieures doivent toujours être prises en compte si l’effet technique n’est pas invraisemblable, et
(III) « pas de plausibilité » (le concept de plausibilité est rejeté).
Toutefois, en analysant la jurisprudence plus en détail, la Grande Chambre de recours a écarté cette démarche abstraite et a estimé que « le cœur du problème réside dans la question de savoir ce que l’homme du métier, ayant à l’esprit les connaissances générales communes, comprend à la date de dépôt de la demande telle qu’elle a été déposée à l’origine comme étant l’enseignement technique de l’invention revendiquée ».
En bref, un breveté peut s’appuyer sur des preuves postérieures au dépôt pour étayer un effet technique si l’homme du métier peut déduire cet effet technique de la demande de brevet telle que déposée, ou le considérer comme étant « compris dans l’enseignement technique et concrétisé par la même invention divulguée initialement ».
La pratique ne devrait pas changer : l’activité inventive devrait être analysée au cas par cas, en tenant compte de ce que l’homme du métier a compris de la demande telle qu’elle a été déposée.
Beaucoup de bruit pour rien, alors ?
Si la décision a le mérite de clore le débat sur la notion mal définie de plausibilité en relation avec l’activité inventive, elle apporte également des commentaires intéressants sur l’exigence de « suffisance de description » (art. 83CBE), en particulier pour les revendications portant sur une utilisation thérapeutique. Dans de tels cas, lorsque l’effet thérapeutique est en fait une caractéristique de la revendication elle-même, l’exigence de suffisance de l’exposé ne sera pas respectée si cet effet thérapeutique n’est pas crédible pour l’homme du métier. Fournir des preuves postérieures pour remédier à l’absence de données expérimentales dans la demande de brevet telle qu’elle a été déposée ne sera alors d’aucune aide.
La Grande Chambre de recours confirme ainsi ce à quoi les conseils en brevets dans les domaines pharmaceutique, chimique ou des sciences de la vie sont confrontés depuis des années. Le dépôt d’une demande de brevet sans au moins quelques données justificatives ou un raisonnement scientifique détaillé s’avérera très difficile.